Rédaction Jean-Paul Valois, juillet 2017
La fondation du village :
la bastide au XIVe siècle
Le choix du site
Le contexte pastoral et les communautés rurales
Des communautés rurales sont implantées en vallée d’Ossau dès le XIe siècle. Leurs habitants ont d’une part des terres privées et d’autre part la communauté, via l’assemblée des voisins, gère des terres indivises – accessibles à tous. Laissées libres de culture, elles sont de ce fait appelées « vacants » ou « communaux » du fait de leur statut. C’est le cas particulièrement en montagne, la « montagne générale » était gérée par toute la vallée d’Ossau. Ces terres sont nécessaires à l’économie pastorale compte tenu de l’exiguïté des propriétés en vallée : les animaux sont emmenés l’été en montagne, l’hiver dans les plaines au nord de Pau et en Aquitaine.
Cette transhumance est déjà en place à l’époque médiévale. Pour ce transit, les troupeaux suivent les crêtes du piémont, notamment celles qui dominent la vallée du Néez. Passer d’une crête à l’autre implique de descendre dans le vallon et d’y franchir un gué : c’est dans un tel site qu’est établi Rébénacq.
Le territoire des communes actuelles témoigne des limites anciennes des communautés ; Rébénacq est créé en prenant environ la moitié des terres de Bescat.
Le conflit d’utilisation des communaux
Aux XII-XIIIe siècles, les rois de France et d’Angleterre étendent considérablement leur domaine et leur puissance, au prix d’un accroissement des dépenses militaires ; ils mettent en place des éléments d’une administration moderne. Les princes du Sud-Ouest, tel le vicomte du Béarn, suivent cette tendance et multiplient les créations de villages pour canaliser l’accroissement de population, la contrôler. Ils souhaitent aussi percevoir des taxes plus stables, notamment en développant le commerce.
La revendication des Ossalois est de jouir en pleine propriété de terres indivises au nord de Pau dites du Pont-Long, qu’ils utilisent de longue date comme libre pâture en arrière saison. Cette volonté prend un tour aigu dans les années 1319-1329, allant jusqu’à un raid en armes qui y met à sac un village. Jusqu’alors plutôt attentistes quant aux créations de bastides, les vicomtes de Béarn en implantent sur le trajet entre l’Ossau et le nord de Pau. Des années 1330 ou 32 à 1347, quatre bastides sont créées et placées sous leur dépendance directe : Gan, Lestelle, Bruges, Rébénacq. Ces fondations vicomtales réquisitionnent en quelque sorte des communaux pour mettre en culture des terres jadis laissées en landes. Elles peuvent être interprétées comme une réaction face aux prétentions et coups d’éclat des communautés montagnardes. En 1349, le village de Bosc d’Arros lui-même reçoit un statut nouveau et complète ce dispositif.
La fondation
Accès au texte de la charte (ADPA 3E805 et E289 – traduction Jeanne Soust 1997).
Les fondateurs
La fondation est due au vicomte du Béarn, le célèbre Gaston Fébus, alors âgé de 15 ans. Pour ce faire, il mandate son lieutenant, Roger d’Arévénac (auquel le village doit son nom), pour passer un accord (« paréage ») avec Pierre, seigneur de Bescat. Ce dernier cède la moitié de ses terres laissées jusqu’alors en « landes incultes ». L’acte est signé le 25 juin 1347 (« lendemain de la Saint-Jean »). L’église est d’ailleurs dédiée à saint Jean-Baptiste et la fondation est commémorée symboliquement par la fête patronale du village célébrée fin juin chaque année.
La vie collective
Le texte de la charte qualifie Rébénacq de “bastide” : à partir des années 1250, ce terme est utilisé dans le sud-ouest pour désigner des villes ou villages, en général nouveaux et créés à l’initiative des rois et des plus puissants seigneurs. Une telle agglomération est administrée par un bayle et des jurats nommés par le prince, ici le vicomte du Béarn : ils sont dotés de pouvoirs de justice pour les faits courants, les délits importants étant renvoyés à la cour seigneuriale.
Nombre de bastides sont planifiées autour d’une place carrée de grande dimension ; c’est le cas de celles fondées en Béarn à partir des années 1300. Cette place est destinée à accueillir un marché, accordé à Rébénacq deux fois par mois le jeudi (P. Tucoo Chala le signale tombé en désuétude au XVIe siècle). Deux moulins sont prévus dans la charte, l’un pour la farine, l’autre pour fouler la laine. La vocation agro-pastorale et artisanale est ainsi d’emblée affirmée.
Les avantages accordés aux habitants
Cette charte octroie divers avantages pour encourager l’implantation de nouveaux habitants : ils sont affranchis, libres, exemptés de droits d’entrée ou de péage sur le pont, de toute taxe pendant 2 ans, ainsi que d’obligations militaires pendant 15 ans. Chaque maison est autorisée à avoir son four à pain et, en cas de dette, ni la literie, ni le boeuf de labour, ni les outils aratoires, ni le toit ne pourront être saisis.
Les nouveaux habitants reçoivent un emplacement pour la maison (14 arases sur 60, environ 7 m sur 28), un jardin attenant et 36 ‘journaux’ de terres à cultiver (soit environ 14 ha). Les taxes associées sont spécifiées, par exemple 4 deniers pour la maison et 4 par ‘journal’ de terre, payables à Noël.
Une réforme de société
Par rapport aux communautés traditionnelles béarnaises, inégalitaires et structurées autour d’une aristocratie locale, une telle charte constitue une profonde réforme agraire, sociétale et juridique. L’installation des bastides de Rébénacq, Gan, Bruges…, correspond à un acte politique et administratif majeur du vicomte. Elle traduit une volonté des seigneurs de haut rang d’administrer leur territoire par de nouvelles méthodes, préludant les États modernes : les bastides sont l’un des éléments de ce dispositif.
Le plan de Rébénacq
Rébénacq est aménagé entre trois cours d’eau, le Néez et deux petits ruisseaux affluents, ce qui facilite le drainage. Le plan est organisé autour de la place presque carrée dite de la Bielle (dérivé du latin villa). Autour de celle-ci, la régularité des façades témoigne encore aujourd’hui de la largeur des lots prévue initialement pour les nouveaux habitants : on ignore si quelques lots plus larges sont originels ou résultent de regroupements. Les maisons sont séparées par une venelle, selon une coutume antique. Elles disposent d’un jardin à l’arrière (surface en jaune clair sur le plan).
La place de la Bielle et ses contours montrent ainsi de façon remarquable une disposition dont les traits essentiels remontent à l’arpentage de 1347, avec des propriétés très allongées disposées autour d’une place de marché. Les chemins piétonniers qui ceinturent ce centre historique en soulignent la cohérence et permettent d’observer les jardins. On ne sait si des palissades ont, ou non, été élevées jadis, mais elles étaient prévues par la charte. Dans le recensement de 1385, 25 foyers taxables sont dénombrés.
L’église est située hors de la place, ainsi laissée libre pour le marché, ce qui est la règle générale pour les bastides. Le lieu de culte reste entouré de son cimetière selon la tradition médiévale.
Une section de la route de Laruns, traditionnellement dite « côte du marcadet » se situe au sud-ouest de la place de la Bielle, à proximité de communaux vendus aux voisins au XVIIIe siècle. Témoigne-t-elle d’un ancien marché aux bestiaux (signalé dans la charte de 1347) ? Il serait imprudent de l’affirmer car cette dénomination n’a été retrouvée dans aucun document.